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Un Psy dans la ville
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Vous avez dit victime ?

vous avez dit victime ?

Depuis son émergence, dans les années 1990/2000, le terme de pervers narcissique fait florès. Il est entré dans le langage courant, à tel point que cette épidémie est suspecte. Notre société ultra libérale et individualiste se caractérise par une inflation des pathologies narcissiques. Nous sommes passés d’un légitime souci de soi à une obsession de soi.

Le pervers narcissique est le nom du sujet contemporain obsédé de lui-même et pour qui l’autre n’est qu’un moyen pour arriver à une satisfaction de toute-puissance. Cette obsession narcissique se traduit par une objectivation de l’autre, une déshumanisation des liens. Il faut bien convenir que le contexte sociétal l’y invite. La mise en concurrence qui commence dès l’école pour certains, qui se poursuit dans le cadre de la recherche d’un emploi, qui persiste dans le monde du travail a des effets féroces sur le narcissisme de chacun. Non qu’il se renforce, tout au contraire : à force d’obsessions, de contraintes imposées sur le corps, l’esprit, le narcissisme se fragilise car jamais le sujet ne se sent à la hauteur de ce qu’il lui est imposé. Ce n’est plus un hyper narcissique mais un « hypo »narcissique.

Très fréquemment dans nos cabinets nous recevons des patient(e)s qui se disent victime d’un conjoint ou d’un patron pervers narcissique. Ce sont ces sujets victimes qui font l’objet de notre interrogation car les dits « pervers narcissiques » ne consultent pas.

Si nous prenons pour acquis que les véritables pervers narcissiques sont beaucoup moins nombreux que ce qui nous est dit ou présenté, que cache cette facilité à se dire victime d’un pervers fut-il narcissique. Je pars de l’hypothèse que le pervers narcissique est une construction, une conséquence logique de notre société libérale et individualiste. Il est une construction au même titre que sa victime est une construction.

Il est mieux admis de se dire victime d’un pervers narcissique que de penser qu’une rupture  amoureuse est une blessure, que nous ne sommes victimes de personne mais néanmoins malheureux. Il est plus facile de reporter sur l’autre, sur sa perversion supposée, l’origine de notre souffrance que d’admettre que la rupture amoureuse est un moment douloureux en raison d’une inévitable remise en question, d’une culpabilité diffuse, d’un sentiment d’échec.

L’exigence de performance généralisée (au travail, à la maison) induit donc deux types de personnalités narcissiques : un sujet  «hyper »narcissique (nous avons déjà écrit un article sur ce sujet) et un sujet «hypo» narcissique qui peut se transformer en sujet dépendant de l’autre.

C’est la rencontre de ces deux types qui crée le pervers narcissique de notre société et sa victime. Plutôt que d’un pervers et d’une victime, il s’agit de deux êtres perdus dans leurs rapports humains et dans un contexte social très particulier et nouveau. Le pervers narcissique est souvent décrit comme manipulateur, que dire alors des formations faites en entreprise où on apprend la manipulation  avec des techniques très élaborées comme la PNL « mais toujours avec bienveillance  nous dit-on ? La démocratisation de ces techniques entraîne certains à les utiliser à tort et à travers. Elle entraîne des relations aux autres « perverties », il ne s’agit plus de parler authentiquement mais de repérer le canal de communication de l’autre et de s’y adapter pour mieux convaincre ou faire passer ses idées. Il n’est pas étonnant alors que l’interlocuteur ait une curieuse impression de fausseté et de manipulation et ne sache comment se sortir d’une telle situation de dupe.

C’est la parole qui est pervertie. Elle n’est plus le véhicule de nos pensées mais le véhicule d’une hyperadaptation aux injonctions de performance.

Alors oui, tous victimes de cette parole pervertie !

Béatrice Dulck

amour, langage, narcissisme, sujet

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