Parlécrire
Sommes-nous en train de perdre notre faculté de langage ?
Le téléphone mobile, et particulièrement le Smartphone, s’est imposé en à peine plus d’une décennie comme un outil indispensable de notre quotidien. Nous voici affublés d’un outil qui vient comme une seconde identité, presque une prothèse tellement nous faisons corps avec. Et je m’interroge aujourd’hui sur l’évolution qu’il peut induire dans notre rapport à la parole.
Le nombre de textos échangés quotidiennement augmente proportionnellement au déclin du nombre de conversations téléphoniques ; et les applications de communication instantanées font florès. Ce sont des espaces d’une riche créativité qui ont vu se développer, le plus souvent sur le mode ludique, un nouveau vocabulaire, des inventions orthographiques, le tout ponctué d’émoticônes plus expressives les unes que les autres.
Mais c’est une erreur de penser qu’écrire à quelqu’un depuis un écran tactile revient à lui parler. On y écrit presque comme on parle, certes. La proximité physique du Smartphone, la façon dont il peut se placer dans le prolongement du corps participe à l’illusion que les messages qui en sortent sont des paroles. Or un téléphone reste un outil de communication à distance et il ne faudrait pas que celle-ci vienne remplacer la parole.
Car communiquer n’est pas parler, et écrire non plus.
Parler engage la voix, le corps, dans l’échange avec l’autre. Et en retour, écouter l’autre c’est percevoir ce qui transpire de sa chair lorsqu’il parle : sa voix, ses silences et suspensions marquent le rythme de son souffle, les nuances des intonations révèlent la subtilité de ses émotions, l’implicite. Parler dans un échange direct ouvre à l’imprévu, à l’immaitrisable, à l’inconnu de l’autre et de soi : ressentir des sensations, laisser s’échapper des émotions, des mots et lapsus.
Parler, c’est être là. Lorsqu’ils sont dits, les mots engagent parce qu’ils sont liés au corps. Ils s’inscrivent dans le corps et prennent un sens profond lié à qui les prononce. Désincarnés, ils risquent de perdre de leur valeur, de la valeur d’engagement, de leur sens.
Depuis Néandertal, l’homme crée des outils qui lui permettent de développer sa capacité à maîtriser son environnement, et à améliorer son quotidien. Avec nos prothèses 3 ou 4G, nous sommes augmentés de la capacité de « parlécrire » ; une activité de communication à distance à la frontière entre l’écrit et le parlé. Tchater ou échanger des textos sont une nouvelle forme de langage. Les échanges sont brefs, instantanés, et doivent l’être par principe. Parlécrire se construit sur le modèle de « l’échange d’information », sans grammaire ou presque, sans ponctuation, avec un vocabulaire restreint. Mais rien n’est dit !
Insidieusement, ces nouvelles formes d’échange pourraient venir supplanter la parole et cette évolution technologique venir appauvrir nos capacités au lieu de les augmenter : nous faire perdre ce qui nous caractérise et nous distingue le plus fondamentalement des espèces animales, notre faculté de parler, de dire, en interaction, et donc de penser.
Sandra Hueber
Claude BILLET
L’humain est dans la technique et l’humain lui donne du sens, séparer la technique de l’humain est un peu artificiel. Nous assistons à des usages différenciés du parlécrire grâce à divers médias mais également à une démocratisation ou un éclatement des publics qui les utilise. Ecrire, converser n’a intéressé longtemps que les lettrés. Les médias actuels intéressent tout le monde. Prenons les tweets, 140 signes peuvent une exigence au même titre que les unités de temps d’espace et d’action à l’âge classique et oblige à une pensées ramassée et correctement formulée. Mais cela peut donner aussi une avalanche de signes dont l’articulation et le sens ne sont compréhensibles que d’une petite communauté qui partage le même sabir. La culture pour tous est une noble ambition, en attendant il faut vivre dans un monde où l’électeur de Trump utilise trois à cinq cents mots et le dixhuitièmiste des milliers et des milliers et où la culture de soi reste une démarche aristocratique. Pour aller vite, disons que les usages spécifiques d’une technique révèle la culture, au sens social et anthropologique, de celui qui l’utilise, mais accordons lui de pouvoir mener de front de multiples usages.
Un Psy dans la Ville
Merci pour votre commentaire qui vient prolonger nos questionnements en leur ouvrant d’autres perspectives.
unpsydanslaville
Desailly
Sandra, bonjour, je souscris, j’adhère à vos propos car deux expériences récentes de prise de paroles m’ont à nouveau conforté dans cette idée qu’il est « bon » de se voir, de se parler, de s’écouter, à deux, en groupe, en cercle, en marche, debout, assis, etc. C’est physique, c’est sonore, c’est vrai, ça remue, ça fait du bien… Merci du choix de ce galet-mobile qui a en lui, le brut, le dur du caillou mais qui dans le creux de la main « en vrai » fait du bien. Je vous invite volontiers à vivre l’expérience sensorielle. Bref, votre article me donne envie de le lire à haute voix, à le faire entendre à d’autres oreilles dans cet esprit du partage si vous m’y autorisez bien entendu. Merci encore pour ce mot « Parlécrire ». Bien à vous et votre équipe de choc! Amitiés. Denis
Un Psy dans la Ville
En effet Denis, il y va de la sensualité dans l’échange… il s’agit également d’habiter sa parole, de la porter dans son corps, d’y être soi.
Merci pour votre commentaire et bien sûr, faites-vous le porte voix de ces mots qui nous concernent, faites les circuler de bouches à oreilles autant qu’il vous plaira, et n’hésitez pas à encourager vos auditeurs à venir déposer leurs commentaires à la suite du votre !
unpsydanslaville