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Un Psy dans la ville
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Moi d’abord ?

Une des conséquences de la révolution industrielle en Occident au tournant du XX° siècle a été de favoriser la naissance d’une civilisation centrée sur l’individu. Dans la foulée, la psychanalyse s’est également constituée autour du singulier, en œuvrant à l’éclosion d’un sujet en mesure d’exprimer la singularité d’une pensée consciente de ses freins inconscients. C’est la révolution copernicienne de Freud : le cogito de Descartes est remplacé par « là où le ça était, le « je » doit advenir ». C’est donc avec une toute autre conception du sujet que le 20ème siècle s’ouvre.

Pourtant cette civilisation est devenue un siècle plus tard hyper-individualiste. La conception du sujet nouvellement défini par la psychanalyse a été dévoyée. Elle n’est plus une conception du sujet aux prises avec la partie de son psychisme qui lui échappe mais a renforcé une conception du sujet tout puissant. Ces errements ont exacerbé le narcissisme tout en mettant à mal l’altérité. L’apport freudien n’est toujours pas accepté par la plupart parce qu’il met à mal l’illusion de toute puissance du cogito Cartésien, de la Raison, de la Volonté consciente.

Chacun se trouve renvoyé face à lui-même, à devoir répondre à des injonctions familiales et sociales de plus en plus exigeantes, porteuses de conséquences mortifères pour les générations contemporaines. Admettre pour soi que « le moi n’est plus maître en son domaine » que des forces inconscientes sont à la manœuvre, c’est aussi l’admettre pour les autres. Le regard porté sur soi et sur les autres est alors plus juste. C’est à partir de là que la construction collective peut se faire. Sans cela nous retrouvons les mécanismes les plus archaïques de haine de l’autre, du prochain, du frère…

Jusque dans un passé assez récent les idéaux étaient collectifs, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, bien que la cause écologique puisse relancer une envie de faire ensemble, de sauver notre planète. Seuls, isolés même en bénéficiant de connexions nombreuses avec d’autres isolés, nombre d’humains du XXI° siècle ont à batailler individuellement pour satisfaire aux exigences contemporaines : être en forme physique et mentale, gagner de l’argent, « bien » élever ses enfants, ne pas craquer, être en forme pour être plus productif, plus rentable, moins coûteux pour la collectivité. Le capitalisme n’a rien à faire et ne veut rien savoir des mécanismes inconscients qui nous agitent tous, ce n’est pas rentable du tout, cela risque de mettre tout le système par terre… Rien de mieux qu’une société qui est régie par les mathématiques, les statistiques, les algorithmes… pas d’inconscient surtout pas d’inconscient !!! Rien ne doit échapper au système bien huilé des marchés.

L’avenir peut être présenté, fantasmé, comme un espace à conquérir et dominer, injonction qui s’adresse à des élites et les fabrique. Mais il est aussi perçu comme désespérant, sans autre issue qu’une forme de mise au rebut, une déshérence qui gagne des jeunes vivant dans un espace où il n’y a plus ni emploi, ni vie sociale et culturelle.

Quelle que soit la représentation de l’avenir, les jeunes d’aujourd’hui ont été des enfants marqués par ce culte de l’individualité et de la toute-puissance de la pensée. Certains prennent le chemin d’un cabinet de psy et viennent interroger ce qui menace de craquer dans leur vie. Remettre des mots, retrouver le pouvoir et la force de s’interroger, tout en interrogeant son environnement, ne fait certes pas changer l’avenir, mais permet d’apaiser des tensions qui, pour la plupart, agissent en sourdine. A défaut d’être repérées et élaborées, ces tensions ne sont plus contenues et aboutissent à une haine pure de soi et des autres. Une cure psychanalytique, si elle peut apaiser une personne, aurait-elle la faculté d’apaiser le monde ?

Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard

haine, narcissisme

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