L’humanité du deuil
Un deuil c’est douloureux ! Oui bien sûr… Comment pourrait-il en être autrement ? Comment ne pas avoir mal lorsque quelqu’un qu’on aimait meurt ? Cet éprouvé douloureux qu’une personne ressent lorsqu’un de ses proches disparaît est avant tout « un savoir humain ». Etre endeuillé, et en souffrir, est le propre de l’homme.
Freud nous rappelle, dans son article Deuil et mélancolie, que « le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée…». En ce sens il n’est pas une maladie et nous savons bien qu’il sera surmonté après un laps de temps, qu’il est même nuisible de le perturber. Or, même si nous en connaissons les codes, le deuil ne peut manquer d’être inquiétant tant il présente des aspects sombres qui ressemblent à ceux de la mélancolie. La mort d’un proche, ou la perte de quelque chose d’important, lors d’un exil par exemple, peuvent plonger l’intéressé dans un état de dépression profondément douloureux. L’endeuillé perd son intérêt pour le monde extérieur, sa capacité d’aimer, il n’a plus envie de rien, se replie sur lui-même, mais tout cela n’est que passager, et au fond de lui-même il le sait bien.
Le deuil appelle à faire un compromis entre la réalité extérieure, dans laquelle la personne aimée a effectivement disparu, et la réalité intérieure, dans laquelle elle continue d’exister psychiquement. Les deux réalités coexistent selon deux modalités et deux temporalités qui ne se correspondent pas.
Ce compromis absorbe complètement l’énergie de la personne et la fait se détourner de ses activités habituelles. « Le monde est devenu pauvre et vide ».
Dans une époque pas si lointaine, la société organisait un certain nombre de rituels conventionnels qui accompagnaient le temps qui suivait la mort d’un proche. Porter des vêtements noirs, puis violets, ne pas mettre de bijoux, restreindre les sorties festives, accomplir certaines pratiques religieuses, rythmaient les moments d’après le décès. Peu à peu les restrictions se levaient, parce que suffisamment de temps avait passé et le retour à une vie normale s’accomplissait progressivement.
Mais qu’en est-il aujourd’hui, où tout nous presse ? Alors qu’il n’y a plus d’organisation collective pour accompagner le temps du deuil, chacun s’organise comme il peut, trouve ses moments de passage, accomplit ses propres rituels, souvent dans la solitude. Parfois ce temps de repli nécessaire devient insupportable et a tôt fait d’être confondu avec un état pathologique. Alors ce sont des médicaments qui accompagnent le temps du deuil, qui donnent l’illusion de s’en sortir au plus vite, sans trop de casse.
Mais cette pathologisation du deuil, la soumission de l’endeuillé à la dictature de la pharmacopée, est irrespectueuse du sens de la vie humaine. Au contraire, traverser la souffrance de la perte, est une épreuve qui renforce bien souvent le sentiment d’exister, une expérience essentiellement subjective. Car le deuil n’est pas pathologique, c’est une « maladie » compréhensible, qui ne porte en rien atteinte à l’essence même de la personne.
Ne pas oublier ce savoir du deuil, et faire savoir que le deuil est humain, est de l’ordre de notre responsabilité de sujets.
ivan couenne
bonjour
bel article qui remet l’humanisme au centre de l’humain.
ce qui m’interpelle c’est le besoin grandissant du deuil collectif ( des centaines de milliers de personnes qui se réunissent pour accompagner les grands de ce monde).effet égrégore des consciences qui soulage la douleur et qui permet de retrouver une forme de ritualisation collective.