Ecrire une psychanalyse ?
Que peut-on dire d’une psychanalyse, lorsqu’on en a fait l’expérience ? Peut-on la transmettre, restituer le vécu d’une cure, témoigner de ce qu’est la psychanalyse in vivo ?
Et surtout, peut-on l’écrire ?
Ceux qui s’y sont essayé, écrivains, psychanalystes, ont-ils réussi à rendre compte de ce processus si particulier, qui les a entrainés dans une relation à la fois intime et toujours distante avec cette personne devenue familière tout en restant totalement étrangère : leur psychanalyste ? Ces écrits ont-ils permis à ceux qui ignorent les subtilités d’une cure analytique, tout en étant tentés par l’aventure, de se faire une idée plus précise du processus dans lequel ils vont s’engager ?
Ecrire la psychanalyse est une aventure à risque, celui de dévoiler trop d’intimité comme celui de rester totalement abstrait ; ou encore celui de n’écrire qu’un roman de genre autobiographique.
La psychanalyse est une expérience de vie, engageant corps et esprit de celui, ou celle, qui s’y engage. Dès lors peut-elle s’écrire ? Peut-elle user de ces instruments que sont les mots pour en rendre compte ?
Georges Pérec a écrit, à propos de son analyse, un texte au titre évocateur : « les lieux d’une ruse »… La ruse, c’est ce qui contourne, nous dit-il. Un éditeur lui ayant commandé un texte sur son analyse, Pérec traine à se mettre à la tâche. Face à la page blanche, il rêvasse, des mots et des pensées lui viennent, mais ça ne s’écrit pas. Tout comme lui-même avait parlé à son analyste – et rêvassé en regardant le plafond -, pendant les quatre années qu’avait duré sa cure, dans ce qui lui est apparu comme un mouvement infiniment lent, avant d’avoir accès à son histoire et à sa voix.
Et de ce mouvement, l’écriture ne peut rien en dire, elle ne fait que contourner, elle ne peut délivrer que le factuel de l’analyse, ces rituels nécessaires, les éléments repérables. L’analyse se passe, se vit, elle a lieu, sans qu’il ne puisse rien s’en retranscrire, ni s’en écrire.
« De ce lieu souterrain, je n’ai rien à en dire (écrit Pérec). Je sais qu’il eut lieu et que, désormais, la trace en est inscrite en moi et dans les textes que j’écris. Il dura le temps que mon histoire se rassemble : elle me fut donnée, un jour, avec surprise, avec émerveillement, avec violence, comme un souvenir restitué dans son espace, comme un geste, une chaleur retrouvée. Ce jour-là l’analyste entendit ce que j’avais à lui dire, ce que pendant quatre ans, il avait écouté sans l’entendre, pour cette simple raison que je ne lui disais pas, que je ne me le disais pas. »
De quelque côté que l’on se tourne, surgit un indicible, un lieu décrété intransmissible parce qu’intime et caché. Le récit d’une cure serait à l’instar de celui du rêve, en décalage, forcément après coup, et forcé de subir une obligatoire transformation, une retranscription, les mots semblant n’être jamais assez justes, assez précis.
Pour autant faut-il abandonner toute ambition de vouloir approcher par l’écrit, la transcription, voire la transmission de l’expérience analytique ? En cherchant du côté de la littérature, et de la fiction, ne parviendrait-on pas à construire, tel un architecte, le récit qui rendra compte de l’insaisissable psychanalyse, fera entrer le processus analytique dans une forme écrite. Suffirait-il simplement de ruser, comme nous y invite Pérec ? Et par le détour de métaphores, parvenir à faire percevoir le mouvement d’une cure tout en dynamique et en fluctuation, par-delà la barrière de la fixité du langage, de la structure grammaticale.
L’écriture d’un tel texte est nécessairement sinueuse comme le sujet dont elle cherche à rendre compte et le récit de la cure, constamment pris entre sinuosités et déviations, n’est qu’une construction qui s’étaye à la fois sur les sables mouvants du cheminement analytique et la rigueur de la structure langagière.
Est-ce ce mouvement permanent, cette fluctuation nécessaire, qui rend si difficile l’écriture d’une cure analytique ?
Marie-pierre Sicard Devillard
Georges Perec – Penser/Classer – Editions du Seuil 2003
claude Billet
Curieux, cela me fait penser à l’écriture, mouvement physique qui draine du non -conscient Après trois livres et bientôt quatre et une vingtaine d’articles publiés, je suis incapable de dire ce qu’il y a dedans et je les relis avec plaisir ou effroi !
Lepsygestalt
Pour information, pour vos lecteurs, on peut écouter le texte de Perec lu par Denis Podalydès, sur France culture, lien ici : http://www.franceculture.fr/emissions/denis-podalydes-lit/denis-podalydes-lit-les-lieux-d-une-ruse-de-georges-perec-15