Déni et Perplexité
Le monde dans lequel nous vivons, tel que nous le connaissons, court à sa perte… les activités humaines ont engendré pour notre planète, des ravages irréversibles, qui la rendront, sans doute plus vite que prévu, invivable dans de nombreux endroits. Nous n’avons pris conscience de ces ravages que tardivement, et nombre de nos contemporains sont incrédules, quand ils ne sont pas dans le déni. Ce qui nous apparait c’est la finitude de la vie terrestre, ce que les astrophysiciens savent parfaitement : la Terre n’est qu’une planète dont la durée, tout comme celle de la vie humaine, est comptée. Nous avions oublié cette évidence, voire carrément omis, et avons précipité non la fin de la Terre en tant que planète mais la fin d’une Terre vivable pour notre humanité.
La solution, si nous la trouvons, sera collective, planétaire. Paradoxalement, c’est bien collectivement que nous avons œuvré à la destruction. Mais dans un mouvement collectif qui s’ignorait, car non solidaire : il n’y a que la solidarité collective qui pourrait être la planche de salut de l’humanité.
Travailler comme psychanalystes, écouter l’individuel, le singulier, peut paraître alors bien en deçà de l’urgence qu’il y a à œuvrer ensemble à une survie des espèces vivantes.
La psychanalyse est apparue consécutivement à la révolution industrielle, celle-là même qui est à l’origine de notre folie collective, de notre déni de la finitude, de la main-mise de la finance sur nos vies, d’un consumérisme fou, d’un gâchis sans fin, d’un individualisme forcené.
Que la naissance de la psychanalyse soit consécutive de l’avènement de la société industrielle et de la bourgeoisie n’est, ni un hasard, ni une anomalie. Cette concomitance, étudiée par les historiens, est le fait de l’importance croissante que prend l’individuel dans l’évolution des sociétés occidentales au cours du XIX° siècle. Ce fut considéré comme un progrès social : l’individu sortait de la masse, se distinguait, devenait un sujet, et la psychanalyse s’est adressée à ces sujets en devenir. La psychanalyse et les psychanalystes ont œuvré pour un individu libéré de ses chaînes inconscientes et des carcans moraux, un sujet en mesure d’exprimer la singularité d’une pensée.
Pour autant, n’aurait-on pas oublié l’importance pour un individu de s’ancrer dans une chaîne collective, d’être apte à œuvrer collectivement ? Freud a pensé le social, à partir de l’individuel, puis la théorie de Lacan, mal comprise, a contribué à forger un hyperindividualisme de la psychanalyse. Ces positions ne sont pas sans conséquences cliniques…
Selon Freud, une cure analytique réussie doit permettre d’aimer et travailler, ce qui suppose de prendre en compte la relation aux autres, et qui devrait conduire également à travailler pour la survie de l’humanité…
Le péché originel de la psychanalyse est sans doute la survenue de sa naissance à la fin du XIX° siècle, en plein essor du capitalisme ; de cette temporalité, résultent les difficultés que nous rencontrons à l’actualiser dans le monde du début du XXI° siècle.
Aujourd’hui nous sommes confrontés à la perspective de la transformation radicale des conditions d’habitabilité de la Terre, qui entrainera des bouleversements civilisationnels. Comment le penser ? Nous souhaitons que les psychanalystes s’emparent de ces questions, avec les outils qu’ils possèdent, en ouverture sur d’autres disciplines de pensée, car la psychanalyse sera prise, elle aussi, dans la grande tourmente de cette transformation.
Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard