Phobie
Le temps présent est lourd de tensions de toute nature, tant dans l’espace public que dans la sphère privée. Qu’un sujet de société comme la vaccination contre la Covid19, clive autant la société française et les familles en deux camps, n’est pas sans rappeler les clivages de l’affaire Dreyfus. Nombreux sont ceux qui avouent ne plus pouvoir parler de ce sujet en famille ou entre amis. Et pourtant, que serions-nous devenus collectivement sans vaccin face à cette pandémie galopante…
Comment se fait-il que cette question soit un sujet qui divise et comment ce sujet divise-t-il ?
Les opposants au vaccin (à ne pas confondre avec les opposants au passe sanitaire) dégainent un argument censé clore toute discussion : « c’est ma liberté ». Bien sûr la liberté individuelle est une valeur essentielle et fondamentale, mais qui rencontre des limites du fait même de la vie en société et de sa dimension collective. L’obligation de s’arrêter à un feu rouge est une restriction à la liberté individuelle d’aller et venir comme bon nous semble. Mais, dans cet exemple, cette liberté est limitée par les restrictions nécessaires à la vie et à la sécurité collectives. Le refus de se faire vacciner est-il une question de liberté individuelle ou s’agit-il d’autre chose ?
Souvent les discussions sur la vaccination dérivent sur des questions plus politiques et l’opposition au vaccin devient une manière de s’opposer au régime actuel. N’y aurait-il pas là camouflage d’une simple phobie ? La phobie est chose sérieuse bien qu’elle soit tout à fait irrationnelle : l’objet sur lequel porte la phobie devient intolérable, source d’angoisses cataclysmiques, pour celui qui l’éprouve. Refuser la vaccination contre le Covid19 serait-il une stratégie d’évitement d’un objet phobique : le vaccin à ARN messager ? Cet évitement serait camouflé par des trésors d’argumentation politique, parfois vaguement complotistes… mais l’objet phobique peut aussi être ressenti comme persécuteur…
Malheureusement il n’y a aucun argument logique, rationnel à opposer à un évitement phobique. Aucun dialogue ne peut s’instaurer sauf à envenimer les débats par les réactions anxieuses de ceux qui sont aux prises avec l’objet de leur phobie, car il s’agit pour eux de lutter pour leur survie psychique. On aura beau expliquer à quelqu’un qui refuse de se faire vacciner pour des raisons psychiques, qu’il y a déjà eu plus de 5 millions de morts de la Covid19 dans le monde, que le vaccin est très efficace contre les formes graves, qu’il n’a que peu d’effets secondaires : en vain.
Manifester, seul ou à plusieurs, contre la vaccination est plutôt le signe d’une altération profonde du tissu collectif. Pour lutter contre les épidémies les vaccinations sont des mesures collectives, on se fait vacciner, certes pour se protéger soi-même, mais surtout pour protéger les autres. Rappelons que le collectif a pour fonction, entre autres, d’assurer un sentiment de sécurité. Quand le tissu collectif se détricote, et n’assure plus sa fonction sécurisante, chacun se retrouve seul face à ses peurs.
Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard
Grangeard
Je suis très heureuse de lire vos chroniques et cela me rassure que des psychanalystes parlent des sujets qui animent la vie sociale donc nos patients et en général les gens…
Je me sens moins seule. Au cas où, je vous propose un de mes derniers textes parus :
https://www.huffingtonpost.fr/entry/langoisse-politique-engendre-un-malaise-psychique-galopant-blog_fr_619770f2e4b025be1ada2723
Au plaisir de vous lire, bonne journée !