Corps en souffrance
Que la souffrance tienne à une cause organique, qu’elle soit liée à une raison affective ou bien encore qu’elle soit un fait du psychisme, c’est toujours le corps qui est le lieu de la souffrance.
L’actualité littéraire met en scène des corps qui souffrent, dans deux textes qui n’ont de commun que la coïncidence de leur sortie en librairie. Au delà des causes des douleurs et de leur nature, ce qui différencie les deux récits de ces corps souffrants est sans doute la manière dont chaque protagoniste s’en empare, ou non.
Le journaliste Philippe Lançon, grièvement blessé lors de l’attentat de Charlie Hebdo, décrit avec une étonnante authenticité et un réalisme sans concession le long enchainement de maux, de soins, de réparations et d’infortunes dans lequel l’ont embarqué ces blessures hors norme. L’écrivain Edouard Louis, en renouant avec son père, rencontre un homme fracassé par la vie dont il livre un portrait pudique en même temps qu’un réquisitoire contre les conditions sociales qui l’ont mené à cette dégradation.
Dans les deux récits de souffrance qui nous sont proposés ici, la différence la plus notoire tient sans doute dans la manière dont l’un est accompagné et l’autre pas. L’entourage du journaliste est très présent, très à l’écoute, et construit peu à peu avec lui le chemin de la réparation tandis que le père de l’écrivain semble abandonné à lui-même et à une souffrance muette. Son corps, dont l’esquisse laisse deviner un manque de soins appropriés, un manque d’accompagnement, devient pour l’auteur un objet politique. Suggérerait-il que l’on souffre différemment selon la place sociale que l’on occupe ? Certes toute histoire personnelle comporte une dimension sociale et politique qui affecte l’individu dans son esprit comme dans sa chair. Mais la conscience de soi ne saurait se mesurer à une simple affaire de fatalité sociale. Pouvoir mettre des mots sur les maux, comprendre ce à quoi le corps est soumis, permet de tenir à une distance, même relative, l’envahissement qu’occasionne la souffrance. L’environnement, qu’il soit familial, amical, ou social, de par les liens qui s’y sont tissés, est souvent un soutien précieux. La solitude, alliée à la maladie, occasionne davantage de souffrance que la condition sociale de l’intéressé.
Ce n’est jamais un autre qui souffre, alors comment s’emparer, s’organiser avec la douleur, la maladie ? A partir de son regard de journaliste, Philippe Lançon relate l’aventure chirurgicale dont il est l’objet. Et cette distance due à la narration introduit la possibilité de prendre une position psychique qui permette à la fois de faire sienne la souffrance et de la traiter comme un évènement qui puisse ne pas effracter totalement le sujet.
La souffrance se sait ou ne se sait pas mais reste toujours subjective, même si le corps est objectivement atteint. Pour mener la lutte contre toute atteinte corporelle, corps et psychisme sont indissociables, et parfois il est nécessaire de créer les conditions de cette association. Le récit produit par l’écriture en est manifestement une. Le récit élaboré au long de la cure analytique en est une autre. Car dans toute analyse le corps est d’abord et avant tout présent et ne saurait être laissé pour compte. Les psychanalystes ont toute leur place dans ce rôle car, sur leurs divans, ce sont des souffrances corporelles qu’ils entendent, ou bien plus souvent qu’ils devinent.
Philippe Lançon – Le Lambeau – Editions Gallimard
Edouard Louis – Qui a tué mon père – Editions du Seuil
LACOSTE
Le récit de Lançon est autobiographique.
Il parle de sa souffrance propre. E Louis souffre de la souffrance de son père et en propose une explication socio politique.
Mais qu’en est il de la souffrance propre du père ? De celle qu’il ressent, lui, sans l’expliquer ? Et S’il ne souffrait pas?
Unpsydanslaville
Chacun de ces récits parle d’un corps souffrant à partir de deux point de vue extérieurs très différents, et cette extériorité nous a interpellés.
Qui sait ce que le père pourrait dire de sa douleur ? Parfois la douleur ne peut se dire et parfois même elle ne se sait pas… Unpsydanslaville
GUILLET Pierre
J’ai bien apprécié votre texte. Une fois de plus.
Cerise sur le gâteau, l’illustration issue de Tintin. Surtout après la lecture de Serge Tisseron qui m’a révélé ce que je « ressentais » de l’ambiguïté de certains personnages sans que leur problématique apparaisse.
Une question surgit : le capitaine Haddock souffre-t-il plus de son pied dans le plâtre et l’immobilité qui en découle ou des tourments que lui produit « la castratrice » Castafiore ?
Cordiales salutations