Du silence
Chers lectrices, chers lecteurs,
Nous vous souhaitons une très bonne année.
Notre premier article de 2018 est dans la continuité des questionnements qui nous animent et qui ont présidé à la création de ce blog.
Espérant que vous continuerez à nous lire et nous faire connaître,
En vous remerciant pour votre fidélité,
Béatrice Dulck et Marie-pierre Sicard Devillard
Du Silence
Se taire n’est pas toujours opportun : en matière de silences, il en est de salutaires et constructifs, et d’autres, au contraire, accablants, destructeurs, voire meurtriers.
Ne pas dire la réalité de faits à ceux qui sont concernés, voire les cacher, délibérément ou non, ou bien les travestir, a toujours des effets négatifs.
C’est ce que montre le remarquable film documentaire d’Eric Caravaca « Carré 35 ». L’auteur s’y livre à une enquête personnelle sur un « secret de famille », celui de la disparition d’une sœur ainée morte en bas âge. La force de son propos est de ne jamais dériver du côté du voyeurisme ou de l’étalage d’une affaire privée, mais de le rapprocher sans cesse de son contexte historique et social, lequel fait contrepoint et nous concerne tout un chacun.
L’absence de mots et d’images sur un évènement, aussi bien que sa représentation selon des propos édulcorés ou déformés, n’empêchent pas l’existence de l’événement. En revanche elles empêchent la pensée de se déployer car elle reste ligotée dans des affects dont la nature et l’origine sont impossibles à déceler. Parfois il suffit d’une émotion inexplicable, survenant à l’improviste, pour qu’un coin du voile s’entrebâille sur une autre vérité que celle qui nous était cachée.
Ainsi dans le film d’Eric Caravaca, le spectateur est convié à suivre le déroulement de ce voyage intime, un peu comme une enquête policière, que poursuit le réalisateur pour comprendre l’indicible niché au cœur de son histoire. Loin de porter des jugements sur les « choix » de taire, ou de dire autrement, ce qui venait bousculer la vie d’une famille, tout nous invite au contraire, dans ce film, à penser les faits du passé à partir de la recherche des témoignages du présent. Et ces témoignages sont autant les images retrouvées que les paroles de ceux d’aujourd’hui sur ce qu’ils ont vécu hier : les recueillir permet d’entendre dans l’actualité psychique les traces d’une réalité antérieure, et de percevoir les effets de l’engrenage des silences et des non-dits. Ces témoins n’ont pas pu faire autrement que de taire la vérité sur une petite fille handicapée, tout comme d’autres, dans le même espace temps, ont choisi de ne pas montrer, et même de déformer, la réalité des années de décolonisation des pays du Maghreb. C’est cette mise en perspective, ce rattachement constant dans l’entrelacs de liens qui relient passé et présent, histoire collective et histoire personnelle, que nous propose l’étonnant et magnifique film « Carré 35 ».
Pouvait-il en être autrement ? Pouvait-on dire des réalités vécues comme impossibles à leur époque ? Certains silences maintiennent l’illusion dont nous avons tellement besoin parfois pour éviter la souffrance d’affects douloureux. Mais nous savons également que les illusions se perdent, à l’instar de la croyance enfantine dans le Père Noël. Et que savoir, même si cela fait mal, est somme toute préférable au silence. Lorsque celui-ci est levé, qu’une autre vérité est faite sur des faits cachés, alors enfin s’éclaire ce savoir sur soi-même que l’on ne sait pas, cet insu qui nous échappe mais qui existe et agit.
Le mobile de ce documentaire, comparable à celui d’une cure analytique, est la recherche d’une vérité propre à son auteur et qui fasse sens pour lui. L’écriture cinématographique, faite d’images et de mots, autorise cette quête.
Dans un univers saturé de mots, verbatim, slogans, tweets, maximes, doublé de la rapidité de diffusion des propos en tout genre, ce temps suspendu que peut représenter une cure analytique, apparaît parfois comme un luxe, ou bien une marque de résistance. Telle celle qui consiste à rechercher une vérité enfouie, en surmontant bien des obstacles.
Annick Vidal
Cet article tombe à pic. Avec le » grand âge » le besoin d’y voir clair ne concerne pas seulement les grands et lourds secrets comme dans « le carré 35 » mais aussi tous ces petits secrets enfouis qui permettent de comprendre le pourquoi des trajets d’une vie. La « quête » permet de mieux vivre avec soi-même. Merci de savoir écrire ces choses . Que l’année à venir soit empreinte de lucidité bienveillante…
Chantal Masquelier-Savatier
De mon côté, j’ai vécu ce documentaire intensément, en m’identifiant au metteur en scène qui part à la découverte et saisit tous les indices qui peuvent le mettre sur la piste du mystère. J’ai admiré le respect avec lequel sont interrogés les parents sans jugement. Et Marie-Pierre décrit merveilleusement cette atmosphère énigmatique et poétique…